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12 / 2004

CMYK

SOLO SHOW

GALERIE CORTEX ATHLETICO

BORDEAUX - FRANCE

- catalogue -

by Thomas Bernard - 2004

Director of the gallery Cortex Athletico.

http://www.cortexathletico.com/

 

 

 

 

Bertrand Peret est un peintre accolant une pratique solitaire à un choix de vie centré sur la rencontre et l’échange. Ce qui frappe avant tout dans la somme éparse des carnets, peintures, photos de l’artiste, et au-delà de ce qui peut passer parfois pour un éparpillement formel, c’est la constante présence d’autrui. Autour du tableau gravite un principe d’échange liant différents emprunts, littéraires et musicaux pour l’essentiel. Cette curiosité lui permet de mêler des références apparemment hétéroclites, de croiser des univers extérieurement étanches. Elle lui permet de dépasser le simple confort de certaines explorations picturales comme elle l’a aidé! à trouver un langage singulier après avoir longtemps marché à proximité des traces de Jean-Michel Basquiat. Ainsi, à force d’appétit, Bertrand Peret a pu surpasser en douceur une période véhémente et frondeuse pour une pratique plus contenue, synthétisant l’ensemble de ses préoccupations.

Pac-Man : période adolescente
Signature et figure de « l’entrée en peinture » de Bertrand Peret, Pac-Man fît son apparition urbaine dès 1990 : arrières de bus, appartements, hangar, terrains vagues, casquettes, voitures, routes du tour de France. Il hante alors tous les espaces de la vie quotidienne de l’artiste. La créature se fait organique, et perfidement s’immisce dans chaque recoin trivial. Il ne s’agit pas seulement de marquer une présence liée à une identité ou un territoire : au-delà du simple tag, il consiste à faire exister ce personnage, à l’entretenir dans sa gloutonnerie frénétique (« gobe ! gobe !»), à construire une existence vagabonde et à l’inscrire en force au rang de pratiqu! e artistique. Ce héros vibrionnant reflète le rapport qui unit Bertrand Peret à son support : boulimique, excessif, violent, spontané, intuitif. A l’image de la voracité de son double, le peintre consomme tous les supports (carton, toile, murs, ) utilisant volontiers l’arsenal graphique du bad-painter : aérosol, pochoir, laque glycérophtalique, Posca, …

C’est à cette période qu’il séjourne à Los Angeles (1994), à la fois théâtre des luttes sanglantes entre Blood et Crips et haut-lieu glamour de l’industrie cinématographique. « On peut disparaître ici sans même s’en apercevoir » écrit Eston Ellis au sujet de la mégapole tentaculaire, décrivant ainsi la junk fair west coast, terrain d’inspiration de toute une génération d’artistes contemporains, de Jason Rhoades à Paul Mc Carthy. Ce séjour est important, il précise l’amorce ! d’un virage, en douceur mais fondamental, dans le rapport que le peintre entretient avec son médium. Malgré l’utilisation toujours quasi-exclusive de Pac-Man, personnage binaire, Bertrand Peret fait la découverte d’une nouvelle créature de jeu vidéo : Lara Croft. Le célèbre personnage du jeu éponyme est une représentation évoluée et introspective de Pac-Man, et augure une période plus apaisée dans la peinture de Bertrand Péret, donnant rétrospectivement le sentiment que la pastille jaune était une figure avant tout adolescente. Petit à petit, Lara Croft apparaît plus sujet que signature, modèle sexué et fantasmatique. Elle se décline alors en de nombreux exercice de style, odalisque irréelle, projection libidinale évidente. C’est là que se marque plus préciséme! nt un nouveau rapport à la peinture, ouvert dans sa modération et ses références. Bertrand Peret petit à petit emprunte la palette classique du peintre, intégrant au low les instruments du high. S’ensuit alors une nouvelle expérience qui viendra conforter cette direction : après un séjour d’une année à la Villa Arson, l’artiste adopte l’usage de l’huile, et s’éloigne d’une expression instinctive au profit d’une image plus construite et mature.

Le tableau comme un espace d’arcade
L’espace du jeu vidéo ne s’est pourtant pas éloigné des préoccupations de Bertrand Peret. Au contraire, ses peintures, dans leur construction, contrefont les tableaux de niveaux. Des entrées, des indices, des recoins, permettent au spectateur de faire le lien entre différentes peintures, de retrouver sa place. Certains codes se compilent, certains fonds coïncident. Ce principe est d’autant plus remarquable que la plupart de ces peintures sont bâties en polyptyques. Les assemblages sont de nombre et de nature variable (4 éléments pour They decided to change the world, X pour …), et constituent parfois comme un essaim d’images (14 formats différents pour Biotek ). Ainsi, les peintures, bien qu’autonomes, n! e sont jamais solitaires : elles se lient entre elles, s’agglomèrent par le truchement de passerelles et de passages secrets.

Lors des accrochages, des éléments supplémentaires de circulation viennent souligner ces liens comme des corps indicatifs. Souvent ce sont des tableaux monochromes de petit format, sortes

de pixels gigantesques, évoquant formellement les combinaisons d’Ellworth Kelly ou d’Aurélie Nemours, et à de rares occasion un procédé lumineux proche des installations de Dan Flavin.
Le pixel est omniprésent, à la fois forme et fonds des toiles. Il est une matrice qui par fragment déborde au premier plan pour noyer un sujet, engloutir un personnage et éventuellement déborder le châssis. Il est techniquement le plus petit élément de teinte homogène d’une image enregistrée, mais aussi le symbole irréductible du monde fantasmatique de Bertrand Péret. Pour l’artiste, c’est également un prétexte esthétique, permettant des combinaisons de couleurs parfois tenues et classiques, ou franchement criar! des et agressives (emploi de fluos, de phosphorescent, d’argenté). Ils sont en quelques sortes une palette évidente, épisodiquement un ornement ou simplement un élément de matière.
Parfois, de cet espace onirique pixelisé émerge une parcelle de réalité, comme le pied que Nicolas Poussin découvre dans le tableau du vieux Frenhauer. Un principe narratif émerge alors et par fragment une scène se constitue. Les canaux de circulation évoqués précédemment permettent alors à la situation d’exister, et mettent en place le début d’une histoire que le spectateur aura à compléter. Cette construction par touche est évidente dans Down, peinture charnière dans la production réce! nte de l’artiste, ou dans One, image la plus proche de ce principe de récit. En ce sens, on peut évoquer les travaux de Jacques Monory et de la figuration narrative, dans ce qu’ils mettent en place une scène proche d’un screen-shot, procédé constitutif de la série des road-paintings. Le tableau devient le reflet d’un instant, et par bribes, laisse entrevoir une temporalité décalée entre le cœur du sujet et son environnement. C’est là un précepte que Bertrand Peret évoque constamment : l’existence des ZAT, les zones d’autonomies temporaires.

Les zones d’autonomies temporaires
La zone d’autonomie temporaire, « utopique dans le sens où elle croit en une intensification du quotidien, ou comme l’auraient dit les Surréalistes, une pénétration de la vie par le merveilleux » est au cœur des productions récentes de Bertrand Peret. Le principe des road-painting consacre ce principe selon lequel il existe des forme de bulles temporelles permettant de créer des espaces tampons autour d’un événement. Ce phénomène coïncide avec les utopies singulières : Il permet f! inalement de créer un espace valable pour un temps donné, en complète indépendance par rapport à son ​contexte. Il en va ainsi des free-parties, des trajets en voitures vécus comme des moments de vie commune, et finalement tout autre instant qui permet de se retrouver en groupe dans une cellule imperméable à son environnement immédiat. C’est ce que Bertrand Péret développe dans ses tableaux, autour d’une recherche de bien-être. Les road-painting sont alors à comprendre comme un carnet de route. La compilation de cette série permet de retracer un parcours tout en évoquant des instant particuliers. Dans cet album se retrouvent les portraits récurrents de ceux qui font l’univers de l’artiste. Très attaché à l’idée de confondre l’art et la vie comme Allan Kapprow a pu le théoriser ou comme Aurélie Nenours l’évoque dans ses interviews, l’artiste entretien dans la combinaison de ces tableaux l’idée d’un parcours dans la peinture comme dans l’existence. On pourrait rapprocher ce type de voyage de celui qu’Ernesto Guevarra fait à motocyclette, ou encore évoquer la correspondance qui unit Jack Kerouac à Neal Cassady. Le tableau est ainsi à considérer comme une bulle poétique en mouvement, un espace de déambulation, témoignage d’une errance proche d’un road-movie (les peintures de cette série n’utilisent-elles pas d’ailleurs un format cinéma depuis Paintcar?). Toutefois, les z.a.t. ne sont pas nécessairement liées à un nomadisme. Lorsque dès 1996, Bertrand Peret propose à des artistes de venir exposer dans son appartement, il met en pratique les même principes. Les expositions, courtes et ​participatives, sont le support à de nouveaux échanges, toujours au plus près de l’art et au plus près de la vie. « En concentrant un événement artistique dans un cadre spatio-temporel défini j’évoque l’idée ( non-sens ) d’une peinture en trois dimensions où l’œuvre, le lieu et le public participeraient dans un même élan à l’élaboration d’un art total et éphémère ». En dehors de l’exposition se développe alors un crew, un possy, une tribu, uni! vers prégnant dans la production de Bertrand Peret : les personnages qui apparaissent dans ses peintures proviennent souvent de ces expériences. Il va jusqu’à s’y auto-portraiturer en pleine action dans l’un des éléments de They decided to change the world, tout comme Wolfgang Tillmans ou Nan Goldin peuvent le faire lorsqu’ils s’intègrent à leurs séries de photographies afin de souligner le lien d’appartenance qui les associe à cet environnement. On retrouve un nouvel espace d’autonomie dans la création sous le nom de Wonderful de la revue 5èmemur, élément de déplacement et de diffusion, lieu d’accrochage pour expositions en transit.

Aujourd’hui, après avoir maintes fois provoqué la rencontre dans ses peintures, Bertrand Peret poursuit son exploration en expérimentant la mise en place d’une z.a.t. de forte ampleur, consistant à créer au Vietnam une résidence d’artiste. Une fois de plus, ses tableaux seront le cahier de bord venant décrire des instants quotidiens, tout en étant poreux aux influences locales. A associer aussi étroitement sa pratique à son existence, Bertrand Peret fait l’expérience d’une utopie qui lui est singulière : donner à la peinture tous les éléments qui font d’elle un espace de vie.

 

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